dimanche 23 avril 2017

La corne d'Abondance (hahaha!!!)



Hier, j'ai revêtu ma tenue la plus séduisante pour assister à une fabrication d'abondance et de reblochon. Et je suis bien tombée: au gaec "Au vent des cîmes", sur les hauteurs de Serraval, à côté de Thônes, j'ai fait la connaissance de François, l'un des associés, et de Jonathan, fromager en formation à l'Enil de la Roche-sur-Foron (L'Enil, c'est l'Ecole Nationale de l'Industrie Laitière, c'est le passage obligé pour les futurs fromagers - côté fabrication). 

Chers amis, je vous préviens que cet article sera un peu plus technique que les autres, car il s'adresse aussi à mes petits camarades de classe.

L'Abondance se reconnaît à ses "lunettes"
 Ici, l'Abondance est reine. Les 60 vaches de l'exploitation fournissent quotidiennement 1200l de lait en ce moment (1400l pendant le pic de lactation de décembre à mars). L'exploitation compte aussi 36 chèvres, principalement des Alpines, un peu de Savoie et quelques Saanens pour fabriquer chevrotins, crottins, reblochons, abondances, et différentes tommes.

Une chèvre de race "Savoie": je vous l'accorde,
celle-ci doit avoir un cousin dromadaire...


Commençons par le plus simple, les tommes. Elles ont leur propre cave d'affinage car l'objectif est de faire développer sur leur croûte une moisissure bien particulière, le mucor (comme sur les Saint-Nectaires). C'est très contaminant, on évite de les mettre en contact avec les autres fromages.

Le mucor se développe mal sur les tommes pas assez salées,
la bactérie du rouge en profite

Le mucor est aussi appelé poil de chat, on comprend pourquoi!
Au début, chaque face est salée au gros sel en alternance
avec l'autre face, un jour sur deux


Ce matin, Jonathan a fabriqué de l'abondance, et comme vous le verrez plus loin, c'est plutôt sportif.

Les moules sont réglables en largeur.
Le lait arrive directement dans ce grand chaudron en cuivre,
depuis la salle de traite située juste au-dessus.
Présentement, les 760l de la cuve donneront 8 abondances seulement...

Après 20 minutes de maturation dans un lait naturellement à 32°
(ferments lactiques lyophilisés fourni par l'interpro de l'abondance)
et 30 min de coagulation, le décaillage peut commencer.

Avec ces pelles, Jonathan ramène le caillé des bords vers le centre
pour un décaillage homogène.
Ensuite, on chauffe le caillé jusqu'à 47°, en 45 minutes
                         Puis on brasse de façon traditionnelle, 
                              à la main, pendant 10 minutes. 


Objectif: un grain homogène, de la taille d'un grain de semoule.

Jonathan fait le test du pâton:
il agglomère une poignée de grains dans sa main pour évacuer le petit lait,
le pâton doit se casser net quand on le secoue et couiner sous la dent.
La réussite du fromage se joue maintenant:
 un grain non suffisament asséché et la pâte ne sera pas assez dure, trop crémeuse,
ce qui n'est pas le but recherché avec l'abondance.

 


Jonathan réchauffe les moules avec le petit lait pour éviter un choc thermique qui peut coiffer le grain. De même, une fois le caillé dans le linge, il le ferme bien dans le moule pour éviter l'entrée d'air. Et aussi pour conserver la chaleur car les ferments de l'abondance sont majoritairement thermophiles (ils agissent à + de 30°).
C'est donc le moment sportif avec le soutirage du caillé à la toile, surtout pour le fond de la cuve. J'ai eu la chance de le faire, je confirme qu'il faut un minimum d'entraînement et une solide dentition...







La mise en moule à la sortie du chaudron.

On plie proprement le linge pour empiler les fromages, 
et on en profite pour faire d'autres trucs 
pendant que le petit lait commence à s'évacuer



On continue la pression pendant 15 min
                         puis on procède à un premier retournement, 
                                     avant de mettre sous presse.


Au bout de 3h, Jonathan a retourné à nouveau les fromages et posé la plaque de caséine (pour différencier les fromages fermiers des fromages laitiers, et identifier le producteur). En tout, ces fromages passent 20h sous presse. 

Ensuite, direction la saumure pendant 7h: cette étape permet de saler le fromage et participe à la formation de la croûte et au développement du goût.



Et finalement, direction la cave où ils resteront 7 jours avant de partir chez l'affineur. Il vous faudra patienter 100 jours minimum avant de vous régaler!




Je suis revenue en fin d'après-midi, après la 2ème traite, pour le reblochon cette fois-ci. Objectif du jour: faire 96 reblochons avec 375l de lait (en moyenne, on compte 3,75l par reblochon). 

On prépare les moules, avec toile obligatoire
La maturation dûre 45 minutes (les ferments du reblochon sont fournis par le SIR) et le caillage 40 minutes. Au décaillage, on doit obtenir un grain de la taille de celui du maïs. 

On chauffe le lait à 33,8°


On remplit les moules

Peu à peu, le petit lait s'évacue

le caillé tombe dans le moule

on finit de le répartir manuellement, via le répartiteur



On enlève les bloc-moules, et au bout de quelques minutes, on peut déjà retourner les fromages, en s'aidant de la toile. Admirez le coup de main:





Après le retournement, on pose la pastille de caséine

puis on pose une plaque dessus

avant de descendre la presse

pour la nuit.
Ensuite, 2h de saumure, puis un passage
dans l'eau de lavage de ceux de la veille
 

Les fromages sont déposés sur une planche d'épicéa,
où Geotrichum peut se développer tranquillement, en formant un voile baveux.

On brosse les fromages une fois

on les laisse dans le séchoir (90% d'humidité)
une semaine, en les retournant une fois par jour
Ensuite, on les colore de façon naturelle au béta-carotène,
et on les laisse 2 semaines en cave
avant de partir chez l'affineur.


Le temps de faire tout ça, le soleil avait disparu, mais ça valait vraiment le coup! 



Les starlettes du coin

Et voilà déjà un nouvel article (Brigitte, tu vas être contente!) pour vous parler des fromages locaux, les best de la région et de la maison Gay. En fin d'article, je vous présenterai quelques préparations fromagères maison.

Nous sommes dans une région complétement dingue en terme de fromages, car ils sont nombreux et très qualitatifs. Pour ne parler que des AOP, sachez que:
- le lait cru est obligatoire (donc plus aromatique et "fromageable"), même pour les fromages laitiers, 
- les ogm sont interdits dans l'alimentation du troupeau, 
- l'ensilage l'est aussi la plupart du temps (l'ensilage, c'est de l'herbe, ou parfois du maïs, cachée sous des grandes bâches noires retenues par des pneus: ça fermente là-dedans, les animaux qui mangent ça finissent souvent cirrhosés, et ça peut donner un sale goût au fromage),
- la transformation du lait en fromage est obligatoire une fois par jour, voire 2 (donc après chaque traite): c'est le cas du reblochon et du beaufort chalet d'alpage par exemple,
- les animaux sont dehors la plupart du temps, et carrément en alpage de juin à octobre pour brouter les bonnes petites fleurs de montagne qui donneront du lait puis des fromages fabuleux!!
Bref, un joli cahier des charges (ça ne fait pas rêver annoncé comme ça, et pourtant...)!



Miam miam!
Que trouve-t-on de beau dans cette crémerie?


Rien que la photo me fait saliver, on commence avec le reblochon et ses cousins: le Tamié (du nom de l'abbaye voisine d'Annecy) et le chevrotin (l'équivalent du reblochon au lait de chèvre). Je ne vais pas m'étaler sur le sujet, tout le monde a déjà mangé du reblochon au moins une fois dans sa vie, sinon courrez vite chez votre crémier (et demandez le avec sa pastille verte: c'est le signe de reconnaissance d'un reblochon fermier - fait avec le lait d'un seul troupeau, transformé par l'éleveur lui-même).
J'ai failli oublier d'élever le débat avec un peu d'étymologie et d'histoire: le mot "reblochon" vient du verbe savoyard "reblocher", traire une 2ème fois. Car au Moyen-Âge, quand les paysans devaient payer leur impôt à leur seigneur en fonction de la quantité de lait produite, ces filous ne traiyaient pas les vaches à fond. Ils attendaient le départ du collecteur pour finir la traite, reblocher donc. Ce détournement fiscal a donné naissance à ce délicieux fromage réalisé avec le lait bien gras de la fin de traite, et de petit format car il y avait peu de lait et il était ainsi plus facile à planquer qu'une meule de beaufort...



Les photos suivantes aussi me font saliver: nous sommes dans le coin des gruyères, ce sont les pâtes pressées cuites. A la base, on parlait de gruyère de comté, gruyère de beaufort... pour en arriver au nom simple utilisé aujourd'hui.
De gauche à droite: un beaufort d'alpage de l'été 2015 (haaaaa!!!!), un savoyard gourmand, du vacherin fribourgeois, de l'appenzeller, un gruyère suisse: le vieux Jumi, de l'Etivaz (fromage suisse d'alpage uniquement - re haaaaaa!!!!), et celui avec les trous: le fameux emmental. N'oublions pas juste en dessous, l'abondance.

Ici, tenez-vous bien, non pas 2 ou 3 comtés, mais 5!
De droite à gauche: un jeune de 8 mois, un 12 mois, un 18-24 mois au top de ses qualités organoleptiques, un 36 mois et pour finir en apothéose, un 48 mois tout à fait exceptionnel et rarissime. Les comtés ne sont quasiment jamais poussés aussi loin (c'est une demande de Pierre Gay), très rares sont les meules qui arrivent à ce stade d'affinage avec une qualité digne d'intérêt.

On retourne dans les pâtes pressées non cuites, avec les 3 tommes les plus célèbres du secteur: 
A gauche la tome des Bauges (oui, un seul "m", c'est fait exprès pour la différencier de ses copines: ça vient du savoyard "toma", qui signifie "fait en alpage"). C'est la seule AOP des trois, elle se la pète avec son joli cahier des charges, et pourtant c'est la plus douce du lot.
Au milieu, la tomme de Savoie. Cette IGP peut facilement ressembler à du plâtre, et pourtant elle est délicieuse quand elle est bien travaillée comme c'est le cas ici.
A droite, ma chouchou, la tomme des Aravis (on ne prononce pas le "s", je me suis fait reprendre!). C'est la plus aromatique des trois et pourtant, elle ne bénéficie d'aucune appelation.


Ici le bleu de Termignon. Il ne reste que 2 ou 3 producteurs au fin fond de la montagne. Sa particularité? il n'est pas ensemencé avec du "roqueforti" comme le ... Roquefort, c'est l'ambiance de la cave qui le fait bleuir, ou non, car ça ne marche pas à tous les coups. Quand on l'ouvre, il est tout blanc, c'est en prenant l'air avec la découpe qu'il bleuit.


Alors le Sérac, c'est la version locale du fromage de petit lait/lactosérum, comme le broccio corse, la recuite ou ricotta, le breuil basque ou le greuil béarnais... On le trouve au lait de chèvre ou de vache. Ca se mange sucré ou salé, c'est idéal pour faire le fameux fiadone dont je vous ai déjà parlé.



 Et comme promis, voici quelques prépas fromagères maison. Attention, ça donne envie!
Brillat-Savarin à l'ail des ours

Tarte au fromage: j'en ai mangé une à la sortie du four,
c'est comme un soufflé sur une pâte brisée
(on dit toujours que les odeurs et les goûts sont liés aux souvenirs,
et ça s'est encore révélé exact avec cette tarte,
ça m'a rappelé le soufflé au fromage de mon grand-père).

No comment, tout est écrit!

A gauche, de la cervelle de canut (c'est une spécialité lyonnaise,
à base de fromage blanc et d'herbes, échalotte...)
Dans les petits pots, les fameux Fontainebleaux que j'apprécie tant,
et à droite: de la double crème!! regardez en-dessous...

Haaaaaa, la double crème, c'est une spécialité suisse, d'ailleurs son nom complet,
c'est "crème double la Gruyère". Tenez-vous bien:
c'est de la crème fraîche enrichie en crème fraîche!!!
Du coup, le taux de matières grasses passe de 30 à 50%
c'est très très très très très très bon!!
Alors, j'ai dit une bêtise! Renseignement pris à la source, il s'agit d'une simple crème, naturellement très riche en matières grasses. On laisse reposer le lait de la traite du soir, et le lendemain, la crème, qui est moins dense que le lait, est remontée à la surface. Et y'a plus qu'à!

jeudi 20 avril 2017

Le premier jour de stage ter

Quelle journée! Je voulais changer de rythme et voir ce que c'est, une fromagerie à gros débit, et bien je suis servie (et passablement fatiguée mais on s'en fiche, j'apprends!).




Nous sommes ici chez Pierre Gay, dont les grands-parents ont fondé la fromagerie à cet emplacement (une rue très commerçante d'Annecy) en 1935. Le père de Pierre, Jean, habite à côté et passe plusieurs fois par jour pour papoter avec les clients et leur montrer avec fierté la cave d'affinage à travers le plancher vitré. Pas besoin de parler beaucoup avec lui pour sentir son amour immodéré pour son métier et le fromage.




On enchaîne avec une petite visite de la fromagerie, en vidéo:




La première journée a été incroyable a plusieurs titres: d'abord les nombreux clients qui ont prolongé le week-end pascal se sont enchaînés sans discontinuer (mercredi et jeudi ont été plus calmes). Du coup, je suis passée directement à la vente, et en toute modestie, je me rends compte que je suis rapidement opérationnelle.
Ensuite, le panier moyen est largement au-dessus de ceux réalisés jusqu'ici (j'ai même fait une vente à 250 euros...).
Enfin, il a fallu préparer les commandes des très nombreux restaurants qui passent leurs commandes chez Pierre Gay (dont des prestigieux palaces parisiens). Ici, quand on prépare de la fondue, on ne fait pas semblant:


On en a préparé 3 comme ça, et la saison se termine:
je n'ose imaginer les quantités en décembre!

On poursuit la visite avec Yquem, le chien de la famille


La cave que l'on aperçoit à travers la vitre sert à l'affinage des comtés, beauforts, abondances, Etivaz, et toutes les tommes de la région (Savoie, Bauges, Aravis, au lait de vache, brebis, chèvre... il y en a toute une déclinaison). Il y a une autre cave en bas, consacrée au Reblochon, et à son cousin le Chevrotin (comme un Reblochon, au lait de chèvre). Et puis, tout au bout du couloir derrière le chien, encore des chambres froides, pour les chèvres plus frais, les brebis, les pâtes persillées et tous les fromages à pâte molle (je résume).




Et pour finir en beauté (!!), une photo avec le col tricolore. Pour l'instant, il n'y a que le drapeau. On peut toujours rêver: un jour peut-être, tout le col sera bleu-blanc-rouge...