lundi 23 octobre 2017

Poupoupi...Doubs


C'est par une jolie matinée que je continuasse mon petit tour pour me poser dans le Doubs, très exactement aux Fins, à côté de Morteau, pays du comté, du morbier et du mont d'or.


J'ai reçu un accueil chaleureux du vice-président de la fruitière, qui m'a fait visiter le site avec passion. Paysan de père en fils depuis 8 générations, cet homme aime son métier et sait le faire partager.

Mais avant, un peu d'histoire: Le comté est un fromage de type gruyère (comme le beaufort, l'abondance, l'étivaz, le gruyère suisse...) né d'un travail collaboratif (et oui, déjà au XIIIème siècle). Selon le célèbre adage "à plusieurs, on est plus fort", les hommes ont regroupé leurs savoir-faire et leurs maigres possessions pour produire un fromage en commun dans une "fruitière" (et oui, le fruit du travail, l'usifruit, tout ça, tout ça..., et non l'endroit où on collecte des fruits).
Objectif: fabriquer un gros fromage se conservant toute l'année pour résister aux longs mois d'hiver. Car l'air de rien, il faut 400 litres de lait pour faire un comté de 40 kg et celui-ci est produit entre 800 et 1200m d'altitude. Comme les routes sont enneigées l'hiver, chaque producteur doit pouvoir trouver une fruitière à moins de 25km de chez lui. Aujourd'hui, c'est un camion-citerne qui fait la tournée des producteurs et garantit la fraîcheur du lait. 

Le comté est un fromage au lait cru, obligatoirement, et c'est le fromage AOP de loin le plus consommé. Du coup, vous pouvez facilement trouver du bon comté au supermercado du coin, si vous savez lire les étiquettes. Sinon, filez chez votre crémier préféré, il vous conseillera dans la jungle des durées d'affinage. La plupart des crémiers aura 2 ou 3 propositions à vous faire, mais ça peut monter à 5 avec des comtés poussés à 36 ou 48 mois!
En achetant du comté, vous êtes sûrs de ne pas vous tromper: d'abord, tout le monde aime ça. Ensuite, le cahier des charges est très strict sur la qualité de l'alimentation des vaches et le processus de fabrication. Il est même noté à la fin de son affinage: au-dessus de 14/20, il est ceinturé d'une bande verte, entre 12 et 14, la bande est marron, ça n'est pas bon signe. Et sous la note de 12, vous n'en croiserez pas, le fromage n'est pas digne d'être du comté!

Pour en revenir à ma visite, j'ai été bluffée par les moyens technologiques et ingénieux mis en oeuvre au service de la qualité:
Des cuves en forme de 8 et non ronde pour décoller le caillé des parois sans l'abîmer, idem pour les tranches-caillés en lame de rasoir et non en fil rond,


des tuyaux où transitent le petit lait chaud à côté de tuyaux d'eau froide pour se refroidir/réchauffer inversement et économiser l'énergie,
un pipe-line de 9 km sous la montagne pour amener le petit lait aux cochons déplaçés derrière la montagne car ils puaient trop en ville, 
une salle d'affinage avec des chaussettes d'air pour bien répartir l'humidité et éviter les courants d'air, etc etc...

Le petit lait est écrémé avant de partir chez les cochons, les restes serviront à fabriquer de la Vache qui rit, la célèbre crème de gruyère (gaffe, y a pas que ça dedans, il y a aussi des sels de fonte...)

Voici un aperçu de la salle de fabrication, avec les énormes cuves en cuivre où arrive le lait, les moules au milieu et les presses à droite:

et à la fin de la visite, la salle de pré-affinage où les comtés font passer quelques semaines avant de partir chez l'affineur (comme le fort des Rousses de Jean-Charles Arnaud ou le fort Saint-Antoine de Marcel Petite):
It's a kind of magic, magic, magic!!

Ici, le frottage des fromages est automatisé

Je suis restée aux Fins l'après-midi pour aller visiter le seul producteur de mont d'or fermier. Habituellement, ce fromage est fabriqué en fruitière comme le comté, mais Le Gaec Mamet a fait le choix d'une fabrication à la maison. Il faut dire qu'on s'y connaît en vache chez eux. La famille a participé dès l'origine à la sélection et l'amélioration de la star locale: la Montbéliarde. Pour preuve ce mur rempli de récompenses depuis la fin du XIXème:

Je précise qu'ils ne gardent que le lait nécessaire à la fabrication des monts d'or, le reste du lait file à la fruitière pour faire du comté et du morbier. 
Le mont d'or, vous le connaissez tous, c'est ce délicieux fromage que l'on mange dans sa boîte chaude, coulant sur des pommes de terre. Les locaux l'apprécient davantage froid et je vous invite à essayer, c'est crémeux, fondant, légèrement acidulé et surtout boisé en bouche, un délice!

Les fromages juste démoulés sont cerclés d'épicéa, élastiqués puis saumurés pour le salage dans un bain de sel d'une couleur détonnante:
L'épicea colore la saumure


C'est le moment d'en profiter, le Mont d'or n'est vendable qu'entre septembre et mai, et vous n'en trouverez plus après février.


Je continue ma promenade et vous retrouve dans les Vosges au prochain épisode!

jeudi 19 octobre 2017

Maillot jaune




C'est par un petit matin brumeux que je suis arrivée à Soumaintrain pour assister à la fabrication du fromage éponyme. Je suis à la limite de la Bourgogne et de la Champagne (entre l'Yonne et l'Aube). C'est la première étape de mon modeste tour de France des producteurs, et j'attaque fort avec cette croûte lavée, cousine de l'Epoisses. Mais contrairement à celui-ci (car non, il n'y a pas de faute, on dit un Epoisses), le Soumaintrain n'est pas lavé au marc de Bourgogne mais à l'eau, salée ou non, ça dépend des fois.


Le Soumaintrain a obtenu son IGP en 2016, vous risquez de le croiser plus souvent dans les bonnes fromageries et uniquement là: il ne reste que 5 producteurs fermiers (et 3 industriels, mais ça on s'en fiche) et un affineur. 
L'affineur se voit livrer des fromages dits "en blanc", c'est à dire très jeunes, auxquels il prodigue tous les soins nécessaires au développement des qualités organoleptiques des fromages, en commençant par respecter la durée d'affinage minimale.

Dans cette ferme, on fabrique le Soumaintrain depuis bientôt 30 ans. Tout a commencé avec Belle-Maman qui transformait le lait de ses quelques vaches dans son garage. Aujourd'hui, le fiston possède près de 100 Montbéliardes, qui patûrent gentiment autour de la ferme, sans ensilage et bientôt sans enrubannage (il construit un séchoir en grange: ça sèche le foin et le conserve idéalement, sans fermentation).


C'est Anne, sa femme, qui gère la transformation des 320.000 litres de lait annuel avec l'aide de 5 employés dans un atelier récent, fonctionnel et surtout très très respectueux des règles d'hygiène (car on ne plaisante pas avec le lait cru, et encore moins avec les croûtes lavées).

J'ai eu la chance de pouvoir mettre la main à la pâte en moulant des Soumaintrains et en les lavant. Tout commence à 5h avec l'arrivée du lait, celui du matin, qui réchauffe celui de la veille au soir. Les ferments lactiques ont commencé à matûrer dans la nuit, on ajoute un peu de présure, on tranche grossièrement le caillé pour commencer à évacuer le petit lait avant le moulage. 
Pour ceux que je n'ai pas perdu, il s'agit donc d'un caillé....lactique!! car la présure est juste là pour aider un peu le caillé à coaguler.






S'ensuit une succession de retournements et de salages. Finalement, le Soumaintrain sera lavé 6 fois pendant les 21 jours d'affinage, la première fois dans de l'eau salée, ensuite dans de l'eau "nature". Et retourné tout autant.




Anne et son équipe fabrique aussi des yaourts, du fromage blanc, des fromages frais aromatisés, et des Chaources (la fabrication est identique, on ajoute en plus du Pénicillium Camemberti dans le lait pour la croûte et le goût. Ceux-ci sont ensuite placés dans un hâloir très ventilé pour bien répartir le développement de Camemberti - et oui, c'est la même moisissure que sur le Camembert). 



Et hop, un pique-nique 3 étoiles avant de filer visiter Troyes et ses maisons à colombages!




Le lendemain, j'avais rendez-vous chez le dernier producteur fermier (et donc au lait cru) de Langres, autre fromage à croûte lavée, connue pour son creux appelé fontaine. Cette petite appelation ne compte d'ailleurs que 2 producteurs industriels.














Le fromage se creuse car dans le cahier des charges, on n'a droit qu'à 2 retournements, qui sont opérés tout de suite après le moulage. Voici une petite vidéo de la fabrication, assez étonnante chez un producteur fermier car de nombreuses tâches sont automatisées. Il faut dire que c'est une grosse machine: 5 associés et 7 salariés, 110 vaches, 6000 litres de lait transformés un jour sur deux. 





Et toujours cette recherche de qualité (les affinages des 2 formats - le petit et le grand à la coupe - sont prolongés de 3 jours supplémentaires et absolument pas obligatoires, ce qui donne 18 et 21 jours, et non 15 et 18). Si votre crémier travaille bien, c'est forcément ce Langres qu'il vous proposera. Le Gaec écoule également sa production en vente directe et à Rungis.

Comme pour le Soumaintrain, il s'agit d'un caillé lactique mis à prématurer la veille avec différentes bactéries (Geotrichum et Brevibacterium Linens, si vous voulez tout savoir) qui participent chacune à leur façon à la formation et la couleur de la croûte. 




Le caillé est légèrement emprésuré à 5h du matin (ça n'est pas un métier pour moi, ça c'est sûr!) et moulé 2 ou 3 h plus tard. On le retourne 2 fois vite fait, et on le démoulera le lendemain pour un premier lavage.
Tout le processus d'affinage se déroule sur place. Sur les photos, les fromages très rouge venaient d'être lavés, et pas les autres, d'où la différence de couleur.


Aprèc cette visite très instructive, il était temps de mettre le cap sur Dijon puis Besançon pour se rapprocher du roi des rois: le Comté!