lundi 27 août 2018

Les Corbières italiennes



De passage au fin fond des Corbières, je m'émerveille devant la beauté des paysages rappelant la Toscane et des vignes aussi belles à voir qu'à boire...
Et là, paf! Je découvre aussi un élevage de bufflonnes tenu par des Italiens. J'ai envie de dire "Mama Mia!", parce que ces grosses bêtes ne courent pas les rues en France. On compte une dizaine d'éleveurs en Auvergne, qui fabriquent des fromages dans leur GIE, une productrice en Aveyron, un couple en Normandie et un autre en Bretagne je crois. 
Les origines de ce buffle asiatique en Europe occidentale sont controversées. Les Grecs les auraient introduits en Italie au IVème siècle avant JC, à moins que ce ne soit l'oeuvre des Normands qui régnaient en Italie méridionale vers l'an Mil, profitant de leur importation en Sicile par les Arabes. 




Parmi les fromages fabriqués au lait de bufflonnes, on trouve des camemberts (!!), et ...la mozzarella!
L'AOP est toujours fabriquée à base de lait de bufflonne, vous la rencontrerez sous cette formule: "mozzarella di buffla Campana", avec son petit logo AOP rouge et jaune et le logo vert et rouge de la Campagnie.
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Il s'agit de la mozza fabriquée dans la région napolitaine qui a vu naître ce fromage suite à l'arrivée des bufflonnes. La première trace écrite date du XVIème, dans un livre de recettes, mais elle existe au moins depuis le XIIème. Même si les bufflonnes sont traitées comme des reines en Campagnie (elles ont droit à du Mozart - notez au passage que je vous épargne le fameux jeu de mot - et des massages), aujourd'hui, la quasi totalité de ces élevages sont aux mains de la mafia, et ça n'est pas jojo:

"Une grande partie de la production de la mozzarella est fabriquée avec du lait congelé en provenance de l’étranger ou du lait en poudre. Des laboratoires, qui ont analysé le produit, ont même retrouvé de la céramique dans les petites boules blanches. Pire : en 2008, les policiers italiens qui traquent les activités de la Camorra s’aperçoivent que la mozzarella a été contaminée à la dioxine. Une découverte qui fait suite au scandale des décharges publiques que la Mafia utilisait pour faire disparaître des produits toxiques. La contamination des champs s’était propagée dans la chaîne alimentaire et notamment au fourrage que les producteurs utilisaient pour nourrir les bufflonnes." Le Monde, article du 30 Mai 2015

Je vous rassure, les choses changent lentement mais elles changent: les fermes confisquées à la mafia sont reprises par des associations antimafieuses.

Après cet intermède qui vous a plombé, je le sens bien, revenons au fromage en lui-même. Le nom mozzarella n'étant pas protégé, vous n'êtes pas sans savoir que l'on fabrique cette pâte filée au lait de bufflonne ailleurs qu'en Campagnie, et surtout que l'on fabrique partout dans le monde des mozza au lait de vache (Galbani en étant un bon exemple). Ces "fiores di latte" sont des fromages plus fermes et plus élastiques, tandis que les mozza de bufflonnes sont plus crémeuses et plus savoureuses, voire franchement animales. C'est l'un des fromages les plus vendus dans le monde aujourd'hui (pas étonnant que la mafia ait voulu mettre son nez là-dedans...).

Ici dans les Corbières, on dénombre une cinquantaine de buffles, et seulement 13 bufflonnes laitières. Heureusement le troupeau va bientôt s'agrandir car la famille a du mal à servir la demande. Avec seulement 5 litres de lait par bufflonne et par jour, la quantité produite est limitée. D'autant que la famille garde tout pour son restaurant, référencé dans le guide rouge et le Gault & Millau. Nous avons quand même eu la chance d'y goûter, re "Mama Mia!"

La transformation a lieu dans un ancien chai, dont les cuves latérales ont été aménagées en salle de fabrication.



C'est là à droite, que ça se passe!
Quand nous sommes arrivés, le lait avait été mis à cailler et l'eau à bouillir (pour filer la pâte).





La fromagère sort le lait caillé de la cuve, pour le hacher au couteau sur la table de fabrication. Puis elle le verse dans une bassine à hauteur, le malaxe et ajoute de l'eau bouillante dedans.








Elle sort alors ses grandes baguettes pour agglomérer le caillé et le lait, la pâte file: moment magique. C'est la première fois que j'assiste à une fabrication de mozzarella. J'avais déjà vu des vidéos où le fromager met ses mains dans l'eau bouillante pour filer la pâte, ce qui est déjà très impressionnant mais ce n'est rien comparé à la danse des papinettes! (mot picard désignant les cuillères de cuisine en bois).




Reste l'étape finale, la formation de boules de 150 gr ici. Autre moment magique où s'exerce toute la dextérité de la fromagère, dont le charme latin n'a pas laissé tout le monde de glace... Et où on comprend de vient le mot "mozzarella": mozzare signifie couper en italien.



Vous pourrez aussi trouver de la mozza sous forme de tresse, nature ou fumée. Et quand la saison des raclettes reprendra, testez la scamorza fumée. Autre pâte filée, à manger fondue de préférence (sur une pizza ou en gratin, ça le fait bien aussi). Dans tous les cas, lisez bien les étiquettes ou questionnez votre crémier!

On passe au salon?

En février 2018 a eu lieu le grand événement du monde fromager: le salon du fromage. Tous les deux ans, les professionnels de la profession se retrouvent Porte de Versailles, dans un pavillon du salon de l'agriculture. C'est l'occasion de retrouvailles entre confrères, de rencontres avec des fournisseurs, de découvrir les tendances, d'assister à des conférences et de boire un verre!



Mais plus important encore, c'est pendant le salon qu'a lieu La Lyre d'or, un concours de plateaux de fromages. Cette année, les candidats devaient réaliser un plateau pour un mariage de 50 convives. Je vous laisse découvrir quelques plateaux, on en reparle plus bas.






















C'est le premier plateau, en bois sombre, qui a gagné. Perso, je préfère le dernier. Et vous, quel est votre préféré? J'attends vos remarques pertinentes pour progresser moi-même dans l'art délicat du plateau.

Ce salon du fromage m'a permis de découvrir le salon de l'agriculture, que je n'avais jamais fréquenté. Il y a bien trop de monde pour moi dans les allées, et je n'ose imaginer le stress des bêtes exposées, mais j'avoue que les after, une fois les visiteurs partis, ont beaucoup de charme.





Je ne résiste pas, et vous fait profiter de la vue de ce cochon (bien équipé!) qui déambule tranquillement dans les allées le soir venu!

Cheese!!!

Pierre, mon ancien formateur à Toulouse et actuel boss, nous a fait la joie et le bonheur de nous emmener en week-end à Londres. 



C'est donc sous un soleil radieux bien connu des Anglais que nous nous sommes rendus dans la ville où le fromage bouge. Car s'il est bien connu que les Anglais ne font jamais rien comme tout le monde, sur ce coup-là, je dis bravo!
Ils ont inventé une nouvelle forme de présentation dont on ferait bien de prendre de la graine. C'est beau, c'est gourmand, on a envie de plonger dedans! Direction La Fromagerie, pour vous montrer en images de quoi il s'agit.




Dans cette boutique, on peut faire ses courses de charcuterie, légumes, produits frais et fromages, et on peut aussi y manger. Lieu polyvalent et convivial où on aime déambuler, La Fromagerie ne présente que des produits d'excellente qualité.





Tenez-vous bien, nous allons entrer de ce pas dans "The Room", l'espace consacré aux fromages (vous avez 45 secondes pour aller chercher un bout de fromage dans votre frigo avant le drame...).










Avouez que ça fait baver, hein? 
On trouve ici le meilleur de ce qui se fait dans le monde entier. Car pendant qu'en France, on s'endort un peu sur nos jolis acquis, ça bouge partout ailleurs, et en bien. Les fromages au lait cru refleurissent en Grande-Bretagne: je crois que je vous ai déjà raconté le coup du National Cheese, sorte de cheddar que les fromagers devaient fabriquer pendant la seconde guerre mondiale pour nourrir la population, et qui a provoqué la perte des savoirs-faire en fromages fermiers, et leur quasi-disparition. 
Tout ceci est loin désormais, et partout dans les campagnes, des producteurs refabriquent des fromages. Leur particularité: il n'y a pas d'unité autour des AOP comme en France, chaque producteur crée ses propres fromages, leur donne le nom qu'il veut, et ces fromages disparaîtront avec le fermier.





Comme on le voit bien sur cette vidéo, il n'y a pas de vitrine réfrigérée dans cette boutique, c'est toute la pièce qui sert de frigo. Et ça, c'est typique de Londres, je n'ai pas encore vu l'équivalent en France. 
Deuxième exemple avec Neal's Yard Dairy. Il s'agit d'un grossiste en fromages anglais, qui possède 2 crémeries dans Londres.





Vous êtes prêts? parce que là aussi c'est un choc! Toute la boutique est climatisée, hygrométrée, nous sommes dans le fromage!










Bon, rangez votre langue, je vous en dis plus sur Neal's Yard Dairy (NYD pour les intimes). Tout a commencé à la fin dans les années 70, quand 2 associés ont décidé de se lancer dans le fromage. Au début, ils avaient prévu de le fabriquer et puis très vite, ils se sont retrouvés à faire le tour des fermes pour rencontrer des producteurs et achalander leur crémerie. Aujourd'hui, NYD travaille en partenariat avec plus de 40 fermiers, chez qui ils sélectionnent les meilleurs fromages. Vous retrouvez ces fromages anglais et irlandais dans les bonnes crémeries françaises car NYD (devenue aussi exportateur) est incontournable pour qui veut proposer cette gamme dans sa boutique.

A la Laiterie de Paris, nous avons sélectionné 2 fromages après notre visite dans leur entrepôt flambant neuf parfaitement adapté à l'affinage. A l'origine, leur réserve était installée en coeur de ville, sous le métro londonien. Aujourd'hui, elle est légèrement excentrée, mais toujours sous le métro aérien.




Viiiiite, retournez chercher un bout de fromage!!


Planches en bois, taux d'hygrométrie, tout est under control





Ce fromage doit sa forme à la passoire qui lui sert de moule!
Vous l'aurez compris, nous sommes au royaume des cheddars.
On se retrouve au salon du fromage et de l'agriculture après un petit cocktail (ou deux...).