samedi 3 juin 2017

Le Pays d'En-Haut

Le bien nommé car c'est vrai que c'est haut et pentu! Il s'agit d'un petit bout de la Suisse, juste à l'ouest du lac Léman, entre la vallée de la Gruyère et Chateau d'Oex, et c'est la zone de fabrication de l'un de mes fromages favoris: L'Etivaz!



J'avais rendez-vous ce matin avec la famille Chablaix à Lioson, que je remercie encore pour son accueil chaleureux. Voici la photo de l'alpage où ils peuvent transformer le lait de leurs vaches en Etivaz du 10 mai au 10 octobre (mais dans la réalité de fin mai à septembre, pour cause de neige):


Et justement, la neige, je l'ai vu de près car je suis montée sur leur conseil jusqu'au lac de Lioson. Certes celle-ci se réflète sur l'eau mais il reste encore une bande neigeuse au milieu de l'eau. Ici, nous sommes à 1850m d'altitude, le chalet n'est "qu'à" 1500m...



Alors l'Etivaz, qu'est-ce donc, me direz-vous? et bien, c'est un gruyère suisse d'alpage tout simplement fabuleux car très aromatique, avec une petite nuance fumée (car cuit au feu de bois). Et quand je dis aromatique, je pèse mes mots: une étude scientifique menée tous les ans sur l'alpage des Chablaix a établi qu'il y a une énorme variété botanique (plus de 100 plantes différentes) sur ces parcelles, que l'on retrouve dans le fromage à partir de 8-10 mois d'affinage, et par conséquent sur le bout de la langue. 

Je précise que dans cette AOP (la première AOP suisse en 2000), les vaches n'ont accès qu'à l'herbe des prairies (on a du mal à les plaindre...). 
C'est d'ailleurs le cas de toutes les AOP suisses d'alpage, qui sont dans la grande majorité au lait cru [les Suisses ont la bonne idée d'être très attachés au lait cru, ce qui a eu pour effet de bloquer le passage aux industriels. Ils ne connaissent donc pas la problématique française où les industriels rêvent de contrôler le paysage laitier (en ne travaillant que des laits traités thermiquement) pour leur plus grand profit... passons, je vais encore m'énerver!!]




Alors, comment fabrique-t-on cette merveille?
Dans une cuve en cuivre, chauffée au feu de bois, car l'Etivaz est une pâte pressée cuite, comme le comté ou le beaufort.




Ca demande une certaine maîtrise du feu pour atteindre la température souhaitée, 56-57 degrés dans le cas présent.


Je voulais vous épargner les premières étapes de fabrication, et puis non! car il y a une particularité ici. Je vous ai déjà expliqué qu'avant de mettre la présure pour faire coaguler le caillé, on ajoute au lait des ferments lactiques pour le faire matûrer. Et bien ici, en guise de ferments, on ensemence avec un seau de petit lait de la fabrication de la veille, que l'on a thermisé à 59 degrés. Puis on en conserve une partie à 38° et une autre à 32°. La matûration du lait participe au goût final du fromage (je résume), et en faisant matûrer le lait avec son propre lactosérum, les fromages de cet alpage auront davantage de typicité (j'adore ce nouveau mot, découvert en formation, tout comme organoleptique: "Ne trouvez-vous pas, très cher, que ce fromage est au summum de son potentiel organoleptique??", ça le fait, non!?!)


Ensuite, le caillé coagule, on le décaille, et on le brasse. Puis direction le feu pour sécher les grains (grains secs = fromage plus dur, qui se conserve très longtemps). Vous le savez tous maintenant!
Comme pour l'abondance, on soutire le caillé à la toile pour le mouler, mais attention, c'est chaud! Alors ici, on utilise un super outil pour ne pas se griller inutilement les poils des bras et donner un goût non recherché au fromage...


Et hop, 600 litres de lait plus tard, on obtient 3 beaux fromages de 20 kilos,


que l'on va retourner quasiment de suite après un premier petit pressage. Ensuite, on les remet sous presse jusqu'au lendemain matin où les nouveaux prendront leur place.




Les fromages sont conservés dans la cave du chalet pendant 2 ou 3 jours, où ils reçoivent les premiers soins (frottage au sel, retournement...),



avant de rejoindre leur cave d'affinage collective, dont le nom me laisse rêveuse...


J'ai appris avec étonnement que chaque alpagiste doit venir soigner/affiner ses fromages, même après leur dépôt ici. De quoi bien s'occuper alors que les emplois du temps sont déjà extrêmement chargés entre la ferme, les foins (activité vitale à la survie de l'exploitation), les soins aux bêtes, les 2 traites quotidiennes, la fabrication quotidienne, la vente directe et les 2500 visiteurs qui vont avec, et la tenue d'un restaurant d'alpage.
C'est là où le terme "exploitation familiale" dont on m'a parlé à mon arrivée ce matin prend tout son sens!!

Bon, si vous êtes sage, la prochaine fois, on parlera beaufort d'alpage et bleu de Termignon, dans le parc de la Vanoise (visite prévue dans 10 jours). En attendant, courez goûter l'Etivaz chez votre futur ex-crémier préféré (car un jour, ça sera moi votre crémière favorite!!).

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