vendredi 19 janvier 2018

Ca rock fort!


Aujourd'hui, je vais vous raconter une histoire: celle de la naissance du Roquefort, le plus célèbre des fromages à pâte persillée, appelés "bleus" dans le langage gourmand. La légende raconte que le fromage est né par accident. Un berger des Causses s'apprêtait à manger son pain et son bout de fromage, qu'il abandonna pour aller conter fleurette à une jolie demoiselle qui passait par là. Quand le berger revînt quelques jours plus tard, le pain et le fromage, cachés dans une fleurine, avaient fusionné pour donner naissance au roquefort. 
Bon, ça c'est la légende, parce dans les faits, nous ne sommes sûrs de rien, le gorgonzola serait né de la même histoire...



C'est encore par une belle journée pluvieuse et venteuse, que je me rends, accompagnée d'Arnaud (toujours dans les bons plans!), à Roquefort-sur-Soulzon, dans le Sud-Aveyron. Nous avons eu la chance de visiter le roquefort Carles, maison familiale fondée en 1927 par le grand-père de l'actuelle dirigeante, Delphine Carles. 
Il s'agit donc d'une maison indépendante, mais aussi et surtout du dernier roquefort artisanal (je vous expliquerai au fil de l'article en quoi cela fait toute la différence). Je vous rappelle que les roqueforts Société et Maria Grimal appartiennent à Lactalis, et Papillon à Savencia (Saint-Albray, Saint-Agur, Coeur de lion...). Ils sortent quotidiennement de leur usine (on ne peut plus parler de laiterie) 10.000 pains de roquefort contre 4.000 chez Carles. Ces derniers ne mécanisent aucune tâche, pour donner du travail et faire vivre des familles dans une région où l'emploi est rare.
Je précise que les roqueforts Gabriel Coulet et Vernières sont également des indépendants. Maintenant que vous savez tout ça, à vous de voir...







Ce qui est étonnant quand on arrive à Roquefort, c'est que les maisons se touchent, et que les fleurines communiquent entre elles. Mais qu'est-ce donc que ces fameuses fleurines?

Roquefort est dominé par le Combalou, qui s'est effondré il y a quelques temps, en créant des cavités à courant d'air, les fleurines. Stables en température et en hygrométrie, elles sont idéales pour l'affinage du roquefort. Chaque pain doit obligatoirement y passer 15 jours minimum.


Mais commençons par le commencement: le lait arrive de chez les éleveurs de brebis Lacaune à la laiterie, située à quelques kilomètres de Roquefort, pour simplifier l'accès des camions. Il est mis à cailler dans ces grandes cuves de 1500 litres: il s'agit d'un caillé présure, c'est assez rapide. A partir de maintenant, tout se joue à la seconde près, les employés ont les yeux rivés sur l'horloge.




Puis vient le moment du décaillage, et là, il vaut mieux laisser faire un pro, car le lait de brebis est beaucoup plus riche et dense que le lait de vache, je n'ai pas réussi à passer le tranche-caillé...
Pour info, il faut actuellement 14 litres de lait pour faire un pain de roquefort, il n'en faudra que 12 au printemps. Pour faire la même chose au lait de vache, il en faudrait 25 litres!



Arnaud a décaillé dans la largeur, c'était plus facile, mais impossible d'aller droit, nous n'avons pas le coup de main.


L'objectif est d'obtenir des cubes de caillé bien réguliers (rien à voir avec l'abondance ou le beaufort, où on cherchait des grains de la taille d'un grain de semoule ou de riz, souvenez-vous). Ici, on découpe de façon à coiffer le grain: on cherche à faire en sorte de recouvrir chaque cube d'une pellicule de petit lait. C'est la particularité des bleus: ainsi les grains de caillé vont moins s'agglomérer quand on moulera le fromage, laissant un peu d'espace au bleu pour se développer lors de l'affinage.



Le caillé est régulièrement brassé pour évacuer le petit lait, puis c'est le moment du moulage, ici dans des moules en inox.



Comme on le voit sur la vidéo, un employé utilise une salière pour répandre du Pénicillium Roqueforti dans les fromages. C'est encore une des particularités du Carles: trois fois par an, des pains de seigle sont cuits et mis à moisir dans les fleurines pour faire apparaître le champignon qui donnera ce goût si particulier au fromage. Une fois broyés, on obtient la poudre ci-dessous.



Les fromages vont rester à l'égouttage pendant 3 jours (et hop, nouvelle particularité: chez les autres fabricants, ils y passent 2 jours seulement. Le PH n'a pas le temps de remonter, cela donne des fromages plus acides que le Carles).


 




Pendant qu'Arnaud fait l'andouille avec sa jolie charlotte, on sale les fromages puis les pains âgés de 9 jours rejoignent les fleurines du centre de Roquefort. Ils sont piqués (imaginez des aiguilles à tricoter qui transperçent les fromages) pour permettre le développement du bleu et installés sur les étagères en chêne pour 2 semaines minimum. Carles est le dernier roquefort à utiliser des claies en bois, et n'hésite pas à laisser les fromages plus longtemps si le bleu n'est pas assez réparti (l'objectif est d'en avoir jusqu'au talon).



ici, les pains ne sont pas retournés et ont donc tendance à s'aplatir, pour former une jasse. Et oui, un peu de culture gé ne fait jamais de mal. Ca peut aussi servir au scrabble...




Au terme de leur séjour dans la fleurine, les pains sont plombés. On utilise ce terme car avant, on emballait avec du papier plombé, aujourd'hui il est en alu ou en étain. Admirez le tour de main!
Au final, les roqueforts Carles sont affinés (on devrait dire maturés car il n'y a que 2 ou 3 semaines d'affinage réel dans les fleurines) entre 7 et 9 mois, alors que le cahier des charges de l'AOP parle de 3 mois. 
Et là, c'est du sur-mesure pour chaque client: les pains sont grattés pour l'esthètique et le goût (la croûte qui commence à se former est amère) et découpés en demi, quart, et même en huitième selon les clients. Et je ne parle pas de la sélection gustative: les roqueforts Carles sont très typés, et peuvent être expédiés plus doux aux clients qui en font la demande.



Et voilà le résultat, il n'y a plus qu'à!

Prochain épisode à la Laiterie de Paris, à vos papilles...

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